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Hommage à mon HLM

Soumis par Rédaction le
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homage

La Presse - 5 mars 2023 - HOMMAGE À MON HLM

ROSE-AIMÉE AUTOMNE T. MORIN COLLABORATION SPÉCIALE

J’ai grandi dans un HLM.

Chaque vendredi, mon petit frère et moi, on rejoignait notre père dans sa maison en rangée de la rue Habitat. Il était malade et avait peu de revenus, d’où notre place en habitation à loyer modique. Je ne le précise pas pour que notre situation vous paraisse plus noble. Il n’y a pas de raison meilleure qu’une autre quand vient le temps d’avoir le droit de se payer un toit. Je le souligne simplement pour que vous sachiez que malgré le contexte peu jojo, ces fins de semaine en HLM font partie des plus belles de ma vie…

Notre petite cour privée s’ouvrait sur un terrain commun bordé par une rivière. Mon frère y posait parfois sa tente pour une aventure en plein air. (Mal)heureusement, une longue clôture nous empêchait de nous tremper dans l’eau archipolluée.

Derrière notre logement, un parc enclavé entre quatre immeubles résidentiels. C’est là que j’ai écrit mon premier roman – combinant espionnage, amour et intrigue politique –, à l’âge de 13 ans. Le récit d’une dizaine de pages n’a jamais été publié, mais notons que son unique lecteur (mon voisin Maxime) l’avait trouvé « quand même bon ».

Ce qui me touche le plus, quand je repense à ces années, c’est que mes amies étaient constamment chez nous. J’aurais pu être gênée de leur montrer notre petit royaume érigé sur de la pauvreté (d’autant plus qu’elles étaient issues de familles plutôt nanties), mais je ne crois pas avoir déjà ressenti la moindre honte. La vérité, c’est qu’elles s’y sentaient bien et moi aussi.

 

Ce n’était pas la parure qui faisait le confort de notre maison, c’était le monde dedans. L’amour imprégné jusque dans les murs.

Bien franchement, je savais qu’on habitait là parce qu’on n’aurait jamais les moyens de vivre ailleurs, mais je ne devinais pas le poids de la précarité. J’avais l’impression de grandir dans un mini village tissé serré. Un village dont la résilience me crève aujourd’hui le cœur.

Combien de parents, rue Habitat, qui se demandaient comment arriver à subvenir aux besoins de leurs petits ? Combien d’aînés isolés ? De gens qui s’étaient égarés d’un chemin qui aurait pu être le bon ? De gens qu’on avait collectivement tassés du chemin qui aurait pu être le bon ?

Mon HLM m’a permis d’aller très tôt à la rencontre des poqués.

Il y avait des enfants qui venaient jouer sur le bord de la clôture pour éviter leur père alcoolo ou pour trouver un peu d’innocence dans un quotidien qui n’en regorgeait certainement pas. Même toutes jeunes, il y avait des faces fatiguées. J’ai vite compris que tout le monde ne part pas de la même place, dans la vie. Puis que la mort avait beau planer, chez nous, on était parmi les choyés…

Dans notre HLM, il y avait de la solidarité.

Notre vieux voisin déneigeait notre entrée, quand l’insomnie le prenait. Je gardais parfois les enfants de la mère de famille monoparentale qui avait besoin d’une pause, en face. Chaque été, une intervenante communautaire organisait une fête pour les jeunes du coin. Grâce à elle, j’ai appris à fabriquer des pinatas en papier mâché et à gérer une foule enthousiaste.

Vous me direz que tout ça existe, qu’importe le quartier. Probablement. Mais j’ai l’impression que la cohésion est différente quand elle se fait de blessure à blessure. On était tous faillibles. On savait que s’avoir était une chance.

J’ai quitté la rue Habitat à l’âge de 16 ans, au moment où mon père, lui, quittait cette terre. J’y suis retournée pour la première fois, l’été dernier… L’endroit m’a paru abîmé. Beaucoup plus que dans mes souvenirs.

J’ignore si c’est parce que mes yeux d’enfant omettaient de remarquer le bardeau qui tombait ou si c’est parce que les lieux ont réellement dépéri, mais chose certaine : l’amour qu’on avait injecté jusque dans les murs n’avait pas suffi à les garder dignes.

Puis, cette semaine, j’ai appris dans ma Presse que1 : « Plus de 40 % des 65 000 logements à prix modique de la province sont cotés D ou E, c’est-à-dire qu’ils ont besoin de travaux majeurs », selon la Fédération des locataires d’habitations à loyer modique du Québec et le Comité consultatif des résidents de l’Office municipal d’habitation de Montréal.

Dans cet article d’Isabelle Ducas, j’ai aussi appris que : « Pendant que de plus en plus de logements deviennent inhabitables dans les HLM vieillissants, le financement gouvernemental alloué à leur réfection ne cesse de baisser : il est passé d’une moyenne annuelle de 352 millions entre 2015 et 2019, à 281 millions par année entre 2019 et 2022, selon la FLHLMQ. »

Sans faire de lien direct entre mes souvenirs et l’état récent du HLM qui m’a vue grandir, j’ai aussitôt senti le besoin de rappeler à quel point ces milieux sont importants.

Évidemment, ils ne cachent pas que des vies aussi douces que la mienne. Je sais que la pauvreté est un facteur qui peut contribuer à bien des inégalités, violences et dérives… Mais je sais aussi que plusieurs locataires de HLM bénéficient de ressources offertes par des intervenants communautaires qualifiés et d’un entourage qui comprend un peu mieux leur réalité, à force d’en partager des bribes.

Au-delà du droit au logement qu’ils assurent, les HLM sont des lieux qui peuvent faire naître des réseaux sur lesquels se reposer quand tu as l’impression que le monde t’a laissé tomber.

Ou que le tien est sur le point de s’effondrer.

(Là-dessus, je sais de quoi je parle.)

Ce serait la moindre des choses qu’on leur accorde le soin mérité.

1. Lisez l’article « Mobilisation pour exiger la rénovation des HLM »

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